Chiharu Shiota est une artiste japonaise née en 1972 à Osaka et aujourd'hui établie à Berlin.
« J’ai commencé par la peinture. Ensuite, j’ai voulu peindre l’air en trois dimensions, avec du fil noir de préférence comme un trait de crayon »
« Nous sommes tous pris dans un réseau de contraintes, liées à notre nationalité, notre famille, etc. Créer est, pour moi, un moyen de me libérer. »
Discrète et silencieuse, Chiharu Shiota interroge avec ses installations sorties tout droit des contes japonais. Œuvre quelque peu inquiétante, comme ces récits fabuleux peuplés de fantômes et d'objets mystérieux.
Depuis le milieu des années 90, Chiharu Shiota fait sa signature de ses installations aux fils entrelacés. Tendant des fils épais de laine noirs aux murs, sols et plafonds, elle crée des réseaux graphiques impressionnants. Ces toiles gigantesques, ses œuvres entre performances artistiques et installations spectaculaires, enveloppent très souvent des objets de son quotidien : chaises, lits, pianos, vêtements, valises, lits, ou encore jouets, comme si l’artiste essayait, en les retenant prisonniers dans sa toile, de conserver la trace de ces objets qui menacent de disparaître de sa mémoire.
Les fils de laine s’apparentent à des traits de crayon dessinés dans l’espace, dont l’accumulation fait écran à la vision du visiteur, tout en donnant à l’œuvre une dimension sculpturale impressionnante. Invité à pénétrer dans l’installation, le visiteur a l’impression d’avancer dans la matérialisation d’une image mentale.
d’autres objets plus troublants, liés à sa vie lits d’hôpital, instruments médicaux, bocaux contenant son propre sang… Elle explore ainsi la relation entre passé et présent. À cela s’ajoute parfois une dimension onirique par le tissage de véritables toiles d’araignées complexes et impénétrables, généralement en cordelette noire, parfois aussi rouge.
L’installation matérialise un questionnement souvent présent dans le travail de l’artiste : quels souvenirs matériels et psychiques conserve-t-on de son passé ? Les souvenirs nous construisent-ils ou nous empêchent-ils d’avancer ? Elle le confirme, cette toile d'araignée la protège.
Louise Bourgeois a bien baptisé son énorme sculpture d'araignée Maman.
œuvre à la fois douceur et mélancolie, sourde menace et folle sensualité
Elle a débuté sa carrière avec une pratique performative intense. Inspirée par le Body Art et l’art féministe d’artistes comme Louise Bourgeois, Eva Hesse ou encore Rebecca Horn, elle réalise des actions fortes traitant des complexités de l’expérience féminine, de l’exil et de la notion de foyer. Aujourd’hui, elle déploie une œuvre sculpturale et spatiale privée de la figure humaine. Elle propage, croise et noue, du fil noir ou rouge, toujours monochrome, entêtant et extrêmement présent. Il n’est pas étonnant que sa pratique soit souvent associée au mythe d’Arachné, une tisseuse hors pair qui, après son suicide fut métamorphosée par Athéna en araignée condamnée à tisser sa toile de manière perpétuelle. De son ventre, l’araignée extirpe le fil fragile avec lequel elle constitue patiemment sa toile pour se nourrir.
Le plus : actuellement chez TEMPLON l’installation Infinity (30 Rue Beaubourg 75003 Paris)
Cette artiste étrange, féérique pour les uns, cauchemardesque pour les autres, est à Paris. Étonnamment silencieuse, la jeune femme très concentrée a œuvré (avec deux assistants) pour transformer l'espace de la galerie en forêt noire où brillent doucement, de façon aléatoire, de grosses ampoules rondes. Ces symboles de la vie qui palpite rappellent Christian Boltanski et son théâtre de la mémoire. En quelques jours, l'espace chavire sous son intervention. Voir, au premier jour, les quelques fils agrafés sur le mur est intriguant. Voir se bâtir cette toile symbolique qui crée l'œuvre et l'émotion est aussi fascinant qu'un tour de magicienne. farouche et personnelle,
Dès le premier pas, nous pénétrons dans l’univers mystérieux et saisissant de Chiharu Shiota. Du sol au plafond, l’artiste a déployé sa toile de laine noire, une toile graphique qui vient dessiner et composer l’espace. Il nous faut nous immiscer et trouver notre propre chemin le long de cette œuvre dans laquelle nous ne pouvons pénétrer. Un jeu d’ombres et de lumières s’installe entre la faible luminosité produite par les ampoules, celle de la galerie et les fils qui viennent rompre le flux lumineux. Les ampoules sont comme prises au piège dans la toile, tels des insectes lumineux pris dans la toile d’une araignée qui tisse pour les engluer et les capturer. Piégées ou protégées ? Un sentiment double nous assaille : piège ou cocon, peur et attirance, malaise et fascination, inconfort et enchantement. Une dichotomie également due à la distance instaurée entre le spectateur et l’œuvre, celle-ci lui est toujours inaccessible. Sommes-nous véritablement invités ? Chacun de ses environnements est emprunt d’une solitude et d’une vie intérieure intense qu’il est difficile d’approcher. Chiharu Shiota autorise une contemplation et se refuse à toute intrusion extérieure.
« La création de fils est le reflet de mes propres sentiments. Un fil peut être remplacé par le sentiment. Si je tisse quelque chose et qu’il se révèle être laid, tordu ou noué, tels doivent avoir été mes sentiments lorsque je travaillais »
« Pour moi, le fil est mon matériel, j’utilise ce matériau car il reflète les sentiments. Ainsi, ils peuvent se mélanger ou se nouer, se desserrer ou se couper. Comme des liens de sentiments. »
« Je veux être plus qu’un langage. Je veux lier le corps à l’univers. Je recherche le moyen de connecter mon corps à l’univers. »
Les installations filaires de Chiharu Shiota s’avèrent être les fruits de performances intimes, laborieuses et produites à l’abri des regards extérieurs. En cela, l’artiste est toujours présente dans son travail, ses environnements sont compris comme des scènes qu’elle vient discrètement de quitter. Le spectateur, lui, vient constater son passage pour y déceler ses messages, ses désirs et ses peurs. Elle mène un douloureux combat contre le temps et produit une œuvre qui se veut être une survivance d’une mémoire personnelle, intime et pourtant universelle. À travers ses codes et symboles nous y retrouvons une part de notre histoire et de notre expérience. Une mémoire dont elle s’impose la conservation, la protection et le partage via une œuvre à la fois spectaculaire et intime.
Bénédicte
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